DÉMARCHE
J'ai commencé à peindre dès l'enfance. J'ai eu la chance d'être initiée par une aquarelliste qui m'a transmis son amour pour l'art et la créativité. J'appréciais de m'essayer à différents médiums et matériaux, mais ma préférence allait déjà à la peinture et au dessin.
Étant née avec une maladie évolutive entrainant un handicap moteur, il m'a rapidement été difficile de marcher et de pratiquer une activité qui demandait de pouvoir se mouvoir aisément.
L'évolution de la pathologie, entrainant de la souffrance physique et par conséquent psychologique, j'ai souhaité fuir cette douleur perpétuelle en me focalisant sur le « beau ». En me concentrant sur de belles images, en cherchant à chaque instant à trouver de la beauté autour de moi, à travers mes yeux. Les couleurs vives et joyeuses m'ont de plus en plus attirée, la peinture a depuis été une parfaite échappatoire, mais aussi une profonde source de motivation.
A l'adolescence, j'ai ressenti une intense envie de transgresser les règles imposées. Les contraintes physiques que je vivais, les discriminations, les moqueries, et les interdits basés sur mon handicap m'ont fait plonger dans une rébellion face à l'autorité.
Les immeubles graffés de banlieue que je voyais depuis mon enfance sont remontés dans mes souvenirs et ont d'autant plus retenu mon attention. Je savais que cet art était contestataire et illégal car perçu comme du vandalisme.
J'ai donc commencé à projeter mes peintures, cette fois-ci sous forme de lettrage, sur les murs de la ville grise, afin d'y apporter de la couleur. Je souhaitais, à travers cette forme d'art qui demande force physique et dextérité, prouver aux autres et à moi-même que mes limites pouvaient être repoussées. Que j'étais capable de peindre de grandes fresques murales à l'instar des différentes générations de graffeurs.
La pratique du graffiti couplée à celle de la peinture a pris une place de plus en plus importante dans ma vie. Au point de ne plus écouter ni prendre de notes lors de mes cours au lycée, et de passer l'entièreté de mon temps à dessiner sur mes cahiers. J'étais obnubilée par ma passion, que j'ai voulu poursuivre jusqu'au bout, pour faire de l'art mon métier. J'ai pris la décision de passer les concours pour entrer en école des beaux-arts.

Lors de mon parcours à l'école des Beaux-Arts de Tours, j'ai tout de suite choisi de me spécialiser dans la peinture, tout en m'inspirant d'autres médiums tels que le dessin, la photographie ou la sculpture. J'ai dû commencer à développer une démarche artistique, un fil conducteur de mon travail, pour comprendre ce qui inspire et compose l'esthétique de mon univers artistique.
Mes rêves furent mes premières sources d'inspiration pour peindre. J'étais fascinée par les paysages que je traversais et que mon inconscient concevait. J'y retrouvais un mélange d'espaces urbains architecturés et d'images de campagne et de nature, et plus précisément des collines et montagnes. Je me suis plongée dans mes souvenirs pour comprendre exactement d'où provenaient ces images, mais aussi pourquoi j'avais tant envie de travailler sur le thème du paysage.
Ces projections oniriques me viennent directement des lieux dans lesquels j'ai grandi et vécu. J'ai été élevée en banlieue sud de Paris, entre zones urbaines et rurales, entourées de collines et vallons. J'ai aussi souvent voyagé à travers la France, plus particulièrement dans les Alpes et sur la Côte d'Azur pour y retrouver ma famille. Ces lieux sont pour moi chargés d'histoires familiales et sentimentales fortes, mais aussi d'une forme de beauté pure et naturelle.
Je ne me suis jamais lassée de ces paysages malgré les années. Je suis toujours sous le charme de la vue de notre petit appartement sur cette banlieue tranquille. Je redécouvre chaque année l'immensité des montagnes, la force que la nature dégage en ces lieux, la puissance de ses couleurs. Je me délecte toujours de la vue sur la méditerranée, de l'amplitude de son horizon, de l'intensité du bleu azuréen. De la chaleur qui teint le ciel d'une ambiance pastelle lors du coucher du soleil. Du calme et de la plénitude qui semblent habiter ces belles maisons luxueuses inspirées du style californien.
Tous ces souvenirs sont ancrés avec force en moi. Ils nourrissent mon inconscient qui créé chaque nuit des paysages oniriques, se situant entre la réalité et la fiction, un entre-deux mondes. Et dont je prenais note à chaque réveil, afin d'en garder mémoire et trace, et de pouvoir les réexploiter en peinture.
J'utilise parfois des photos, issues de ces souvenirs et voyages, et qui me servent à consolider les projections dans mon esprit, pour mieux les ressortir sur la toile. L'idée n'est pas de rendre la peinture fidèle à la réalité, mais de s'inspirer d’éléments, qu'ils soient, formes, couleurs ou même impressions, pour en ressortir un sentiment et une esthétique qui lient chacune de mes œuvres.

J'ai commencé à incorporer dès ma première année aux Beaux-Arts la montagne sous forme de dessins, de motifs ou de peinture dans mon travail. Je cherchais de nouvelles techniques pour la représenter, m'essayant à divers matériaux et supports.
En effet, la montagne est un élément central dans mes rêves, je me suis intéressée à sa symbolique, qu'elle soit artistique ou psychologique, et à sa place et sa récurrence au sein de mes visions. Au tout début de mon raisonnement, je constatais que des massifs montagneux faisaient forme d'arrière-plan, créant une trame de fond à mes rêves. Mes premières réflexions m'amenèrent à penser qu'ils servaient à mon inconscient de délimitation, les massifs définissaient une ligne d'horizon proche pour ne pas avoir à inventer un espace complexe à l'infini.
En poussant ma réflexion, psychologiquement et spirituellement, j’analyse maintenant l'image de la montagne comme un renvoi aux épreuves que j'ai pu traverser, aux étapes de la vie à franchir, à la douleur physique à surmonter, mais aussi à mes propres origines au cœur des Alpes.

L'architecture a aussi toujours été présente au sein de mes rêves ainsi que dans mes premières œuvres aux Beaux-Arts le plus souvent sous forme de dessin. En restant dans la même démarche, inspirée de mes projections oniriques, ces architectures se trouvaient être issues de mes souvenirs d’enfance et de mes origines. J'en gardais donc un rapport presque intime avec ces images d'immeubles, de bâtiments et maisons pavillonnaires banlieusardes. Ce sentiment d'intimité, de proximité était accentué par mon approche du graffiti, son rapport au support, donc au mur, à son matériau, sa surface, avec un point de vue presque tactile.
En 2017, j'ai visité la rétrospective de la carrière du peintre David Hockney au Centre Pompidou. J'ai été marquée par sa série intitulée « Swimming Pool » peinte dans les années 60.
L'artiste trouvait son inspiration dans les villas de Los Angeles et de la côte Californienne, l'esthétisme de ses tableaux ainsi que l'architecture de cette époque m'ont fascinée, ils ont fait écho à mes souvenirs des paysages de la côte d'azur. Je pense que cette fascination pour ces architectures minimalistes, épurés et toutefois luxueuses contrastait fortement avec les grands ensembles, les barres d'immeubles et petits pavillons de mon enfance.
Cette exposition m'est depuis, restée très clairement en mémoire, presque comme une forme d’obsession. J'ai lentement délaissé les paysages de montagnes, travaillés avec matières et reliefs, et élément central de mon travail et de ma démarche artistique, pour me consacrer à une nouvelle série. Axée sur des toiles architecturales, représentant des villas de style minimalistes, bordées de piscine ou de la mer, afin de m'ouvrir à de nouvelles techniques de peintures, sur le reflet, la perspective, le dégradé.
Mon inspiration pour cet ensemble de peintures découle directement de la série Swimming Pool d'Hockney, mais aussi de mes recherches sur les architectes du mouvement Californien des années 60. Les Cases Study Houses, Richard Neutra, Pierre Koenig, Frank Lloyd wright...
J'y incorpore aussi des codes issus du graffiti, l'utilisation de l'aérosol, de ses différentes techniques, des combinaisons de couleurs. Bien que ces dernières soient aussi inspirées de mes rêves, ainsi que de photographies.



